jeudi 27 septembre 2012

Déclaration d'un Soir - Cartier : Moment Volé

Lorsque le printemps arrivait, ma mère piquait une fleur de lys dans ses cheveux. Le parfum se diffusait dans chaque pièce de la maison qu'elle avait traversé. Et, lorsque le soir venu, la fleur se fanait en déchargeant ses effluves mortifères, la fleur tombait sur le parquet du long couloir de notre maison.


Barry Lyndon

Quand les lys se faisaient plus rares et que les fleurs fanées jonchaient le sol, déployant dans ce si long couloir le parfum de leur déclin, je savais que les roses n'étaient pas loin. Comme pour faire écho à ma mère, mon père installait quelques pétales de la fleur au revers extérieur de la poche de sa veste. Voir mon père arranger les roses pour les déposer sur son vêtement continue d'évoquer pour moi un acte d'élégance, d'une beauté et d'un raffinement indicible. Dans ce leste geste d'esthète, j'ai enfermé toute la nostalgie teintée du gris de la tristesse d'une époque révolue.

Je revoyais mon père arborer les pétales de rose lorsqu'il dînait avec maman. Elle soignait toujours sa toilette les jours où mon père lui annonçait que le soir ils dînaient tous les deux. Je détestais ces soirs là à l'époque. C'était comme si on m'éloignait à reculons de la table familiale pour être aspiré par le couloir et que finalement, on m'enfermait dans ma chambre. Cependant, quand se dessinaient ces diners, je n'étais pas seul : notre table de bois massif se révélait bienveillante en me laissant allumer la bougie qui réunirait mes deux parents. J'ai toujours aimé le bois de cette table.

J'embrassais ma mère sur les joues, espérant trouver l'odeur d'un lys, puis je déposais un baiser sur chaque joue de mon père, qui exaltait en se baissant  le léger parfum de la rose qui a vécu son temps. Durant le repas, ils ne se faisaient aucune déclaration. Ils se contentaient simplement de se regarder. Je le sais parce qu'il m'est arrivé de sortir de ma chambre et d'observer depuis le fond du couloir mes parents se dire mille choses par le simple échange de regards et d'odeurs. La danse de la flamme engendrait comme une séparation de là où je pouvais les observer. Séparation encore plus marquée par la ligne droite et fière que dressait la cire grise de la bougie. C'était beau. Peut être le plus beau spectacle qu'il m'ait jamais été possible d'admirer.


Barry Lyndon

Assis, invisible au fond du couloir, je sentais les fleurs de lys aux pétales fanés et aux pistils hasardeusement éparpillés sur les côtés du couloir. Alors que la rose, elle, m'a toujours échappé, accrochée qu'elle était à la veste de papa.

L'époque est révolue. Maintenant je ne cesse de tenter de vaines reproductions de ces images gravées dans une mémoire d'enfant. Peut être que l'amour qui émanait de ces dîners opérait en moi des changements merveilleux à chaque instant de mon enfance. La tendresse de cette passion débordait instinctivement dans le cœur du jeune garçon que j'étais. Je les aimais comme l'oiseau chante, comme la rose s'épanouit dans la nature.

J.